« Shinjin datsu raku » (1)

Paul Hōjō Pichaureau

27 janvier 2023, 19 h

Maître Dōgen était dans le dojo de maître Nyojō. À côté de lui un moine dormait, c’était le zazen de la nuit. Maître Nyojō est passé derrière eux et a donné un gros coup de sandale au moine qui dormait.

Il lui a dit : « Shinjin datsu raku » et ces mots ont frappé maître Dōgen qui s’est retrouvé en sueur, complètement bouleversé.

Il avait fait un long chemin pour arriver là. Dans sa jeunesse il lisait les textes chinois pour apprendre le chinois, les recueils de kōans, des paroles de maîtres. Il avait réussi à partir pour la Chine, ce qui était assez rare. Il avait réussi à pratiquer dans le dojo de maître Nyojō, ce qui était assez rare aussi...  beaucoup d’efforts.

Shinjin, c’est « l’esprit et le corps », c’est-à-dire notre personne apparente, superficielle, conditionnée. Datsu raku, c’est « laisser tomber », comme on laisse tomber ou glisser un manteau des épaules. On l’écarte légèrement et par la gravité il tombe tout seul.

Alors en zazen, laissez glisser vos pensées, laissez glisser vos sensations, vos états d’esprit. Georges dit : « Laissez-les s’évanouir ».

(Silence)

Alors pourquoi dire à un moine qui dort : « Shinjin datsuraku » ? Pourquoi lui dire : « Laisse tomber ton corps et ton esprit » ? On peut imaginer que son corps est bien à plat et son esprit pas tellement en forme. Pourquoi dire à quelqu’un qui est bien pépère assis en zazen : « Laisse tomber ton corps et ton esprit » ?

C’est que zazen est une activité totale, ce n’est pas juste laisser passer ses pensées, c’est agir pour laisser passer ses pensées.

Si on est trop dans la fatigue on redresse le torse, on tire les épaules en arrière et on tire la nuque, on insiste un peu plus sur l’expiration. Si on est un peu trop agité ou dans le souvenir, on calme et on allonge un peu la respiration, on observe la fin de l’expiration, la fin de l’inspiration. Si on rêve, on peut ouvrir un peu plus les yeux et si on pense on peut baisser le regard.

Si notre esprit ne parvient à laisser passer, à laisser tomber, à laisser la forme devenir non-forme, on revient au corps, aux genoux ou au tranchant des mains, on revient aux pouces. On tire les épaules en arrière, on tire la nuque…

C’est la grande activité de zazen, permanente, incessante.

Ainsi on prend l’habitude de changer sans cesse notre posture, au sens figuré : notre regard, notre point de vue. On se libère car on prend l’habitude de sortir de toutes les prisons, de s’évader de toutes les certitudes.

Lorsqu’il parle de cette grande activité, maître Dōgen dit que c’est comme une personne qui se réveille la nuit et qui jette le bras en arrière à la recherche de son oreiller[1]. Même dans l’obscurité, même sans ouvrir les yeux et être parfaitement conscient, on trouve le soutien de zazen.


  1. Extrait du Shōbōgenzō zenki, commenté lors de la journée de septembre 2019 : « Pour cette raison, la manifestation de toutes les fonctions de la naissance et de la mort est telle un homme dans la fleur de l’âge qui fléchit et étend un bras, ou bien telle une personne qui, dans la nuit, tend le bras en arrière en tâtonnant, en quête de son oreiller. » ↩︎

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