L'âne regarde dans le puit (3)

Paul Hōjō Pichaureau

18 mars 2023, 9 h

Sōzan demande au vieux De : « Le sutra dit que le véritable Dharmakāya du Bouddha est comme le ciel immense. Il manifeste une multitude de formes en réponse à tous les êtres, comme le reflet de la lune sur l'eau. Vieux De comment comprenez-vous cette phrase ? ». Le vieux De répond : « C'est comme l'âne qui regarde dans le puits et voit son reflet au fond du puits ». « Ah ! c'est pas mal, mais vous n'avez pas tout dit ». « Et vous maître Sōzan, reprend le vieux De, que diriez-vous ? » « C'est comme le puits qui regarde l'âne ».

Dharmakāya est un terme qui vient de la théorie des trois corps, mais cette théorie n'est pas claire. En réalité, elle n'est pas très importante dans le bouddhisme. Mais Dharmakāya est un terme souvent employé et qui a un sens très profond. Dharmakāya est le corps du Bouddha qui enseigne la vacuité à tous les êtres. C'est l'enseignement qui se propage à travers les personnes, les âges et les lieux. Il prend mille forme pour atteindre tous les êtres. L'enseignement de Kōdō Sawaki devient l'enseignement de maître Deshimaru, qui devient l'enseignement de Gérard Pilet. Ses mots à lui sont repris dans les conversations, dans les dojos et ils deviendront demain les mots d'un autre maître. Pas seulement les mots bien sûr : les actions, les lieux, les pensées, les regards, la multitude des formes.

Comment cette conscience de la vacuité, cet éveil à la vacuité se propagent-ils ? Le vieux De dit : « Chaque être peut voir que les phénomènes sont kū, chaque conscience peut voir qu'à l'extérieur les objets n'ont pas de substance. Ils naissent à chaque moment de la multitude des causes et conditions. Ils disparaissent à chaque instant : mort et vie, vie et mort, sans cesse. »

C'est un enseignement qui libère, qui nous empêche de penser qu'une malédiction, un mauvais esprit ou une malchance pèsent sur nos épaules. Il nous donne la force de faire face à toutes les situations.

Mais ce n'est pas tout et il y a un pas supplémentaire à faire. Ce n'est pas un enseignement pour un observateur qui comprend le monde, un enseignement pour surplomber les autres... car il n'y a pas d'observateur. Ce n'est pas nous qui acquerons en zazen une quelconque sagesse par la compréhension du Bouddha Dharma. On n'est pas séparés. Cette vacuité, c'est également la nôtre, notre propre être est vide. Notre propre être, chacune de nos pensées et de nos sensations est marquée par la vacuité et est le reflet des circonstances et des relations d'interdépendance. Je suis là, assis en zazen, je pense au kusen que je fais, je pense un peu à l'heure qui passe. Je suis entièrement celui qui pense au kusen et à l'heure qui passe, parce que les circonstances le font. Puis après je serai entièrement celui qui fait son marché, entièrement celui qui mange, qui dort, etc. Il n'y a pas un être qui vivrait et traverserait tout cela pur, immaculé, détaché du monde. Il n'y a pas un âne qui regarde dans un puits et se rend compte qu'au fond c'est un reflet. Il n'y a pas cela parce qu'entre l'âne et le puits il n'y a pas de différence. Le puits regarde l'âne, autant que l'âne regarde le puits.

Kū soku ze shiki, shiki soku ze kū est un enseignement que maître Deshimaru rappelait tout le temps. Et il est bon de se rappeler que shiki ne sont pas les formes, c'est notre forme. Ce *shiki-*là, c'est nous-mêmes. Nous sommes et se manifeste en nous.

Maître Wanshi a écrit à propos de ce kōan, ce poème :

L'âne voit le puits, le puits voit l'âne, La sagesse embrasse tout, sans exception La pureté imprègne plus qu'il n'en faut Les fils du métier à tisser ne pendent pas, c'est une question de navette Les motifs émergent dans tous les sens, L'intention se différencie d'elle-même.

« Les fils du métier ne pendent pas » : j'ai déjà parlé de cette image à propos d'un autre poème de maître Wanshi. C'est une image de l'activité universelle : « La navette d'or court sur le métier de jade »

Dans ce mouvement universel, il n'y a rien en manque et rien de trop. Dit autrement : si vous voyez le bien ou le mal, si vous voyez le manque ou le trop, le long ou le large, c'est que vous pensez que quelque chose échappe à la vacuité.

Si cela vous arrive, alors remettez en action l'activité universelle. Faites à nouveau courir la navette ; les fils ne pendent plus. Finalement cette grande activité c'est notre pratique, pas seulement au dojo mais quotidienne, incessante, notre façon de mettre en œuvre l'enseignement dans notre profonde intimité. C'est ainsi que le Dharmakāya se manifeste, que l'intention se distingue d'elle-même.

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