Une bonne personne

Paul Hōjō Pichaureau

2 juin 2023, 20 h

Dans un enseignement à ses moines, maître Dōgen [grand maître japonais de notre école qui a vécu au 13^ème^ siècle] disait : « On s'efforce d'expliquer l'Ouest en parlant de l'Est ». On tourne son regard, on tord son corps, c'est-à-dire qu'on s'efforce de pratiquer la voie*,* d'enseigner le Dharma [l'enseignement du Bouddha]. Et pourtant, dit maître Dōgen, « On ne peut s'empêcher de perdre son corps et sa vie. »

Pour expliquer cette parole, il prend un exemple ancien et dit : « Un jour on a demandé à maître Jōshū à quoi ressemblait la vérité ultime et maître Jōshū a répondu : "Depuis que je suis tout petit, je suis un moine, sans aucune illusion dans le regard." »

En fait, maître Jōshū a répondu par un mensonge car il est devenu moine à un âge plutôt avancé, vers quarante ans. Si mes souvenirs sont exacts, il était négociant, il avait une femme et des enfants et ce n'était certainement pas un homme sans illusions. Il avait connu, comme nous tous, toutes les illusions de la vie sociale. Il se souciait probablement d'être un bon époux, un bon père, un bon négociant, un ami apprécié et un honnête homme. Toutes ces illusions, on peut le dire, de la vie sociale. Et pourtant il avait en lui ce désir d'éveil, ce désir de transcender la réalité, de ne pas rester enfermé dans ses pensées et ses certitudes, dans son idée du bon mari, du bon père, du bon négociant, etc. Il avait une aspiration à l'éveil, bodaishin. Il ne l'a jamais laissé tomber.

C'est ce qu'il voulait dire en disant : « Depuis tout petit je suis un moine sans illusion dans le regard ». Il pratiquait zazen, il rencontrait des nonnes et des moines et un jour il a tranché : il est devenu moine auprès d'un très grand maître et ensuite maître lui-même.

Bien sûr il faut être une personne correcte dans la société : ne pas mentir, ne pas voler, ne pas blesser les autres en paroles comme en actes. On se construit une vie digne autour d'une certaine idée d'être une bonne personne. Mais la pratique de la voie et de zazen est une dimension très au-dessus de cela. Quand nos pensées disparaissent entre deux pensées, c'est une sagesse qui nous illumine. Quand on est seul, assis face au mur, une sagesse se manifeste. Et petit à petit on comprend qu'être une bonne personne est une illusion, un concept, une fabrication mentale --- utile bien sûr, mais marquée par le sceau de l'ignorance et de l'incompréhension. Ce n'est pas un constat pessimiste, au contraire. Si on a cette prise de conscience, c'est aussi que l'on prend conscience d'une dimension plus élevée.

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