Journée de zazen

Paul Hōjō Pichaureau

1 octobre 2023, 12 h 30

Kyōsaku !

Il y a des écoles du zen qui ont arrêté de donner le kyōsaku. Ils disent que c'est violent. Mais à mon avis c'est surtout pour que les pratiquants restent tranquilles, chacun dans leur coin, sur leur zafu, qu'il n'y ait pas de connexion, qu'on ne dérange pas les gens. Mais dans l'école de Philippe Coupey, mon maître, on cherche au contraire à ce qu'il y ait des connexions entre les gens. Chacun ne fait pas son business dans son coin, mais on pratique tous ensemble la voie du Bouddha.

Chukai !

Un jour, Bodhidharma réunit ses disciples et leur dit : « Je vais bientôt mourir et je dois transmettre le shihō. Exprimez votre compréhension ».

Le premier des disciples, Dōfuku, dit : « Je ne suis ni attaché ni détaché des lettres. La voie fonctionne librement ». Bodhidharma lui répond : « Tu as obtenu ma peau »

Le second disciple, la nonne Sōji, lui dit : « C'est comme Ananda lorsqu'il vit la terre du Bouddha Akshobhya une fois puis plus du tout. Bodhidharma lui dit : « Tu as obtenu ma chair »

Dōiku, le troisième disciple, dit : « Les quatre grands éléments sont originellement vides et les cinq skandha n'existent pas. Ainsi il n'y a rien à atteindre. » Bodhidharma lui dit : « Tu as obtenu mes os »

Eka avança, se prosterna devant Bodhidharma puis retourna à sa place. Bodhidharma lui dit : « Tu as obtenu ma moëlle ». Puis il transmit le kesa et le bol à Eka.

Quand il commente ce kōan, maître Dōgen dit : « Surtout n'imaginez pas que la compréhension des quatre disciples est différente. Celui qui a reçu la peau a aussi reçu la chair, les os et la moëlle. »

Chacun a compris l'enseignement de son maître à sa manière, et dans chacune de ces compréhensions il y a la totalité de l'enseignement. Comme dit le *Sandōkai *: « Les capacités des hommes sont grossières ou affinées mais dans la voie il n'y a ni maître du Nord ni maître du Sud. »

C'est à dire qu'on pratique la Voie dans notre vie avec nos caractéristiques personnelles, particulières, avec notre situation karmique. Si on la pratique sincèrement, notre compréhension est illimitée, même si elle nous semble inférieure ou supérieure à celle des autres. Notre compréhension est aussi illimitée que celle des autres, des autres disciples et pratiquants de la Voie.

On s'assoit en zazen et on observe notre esprit prendre une forme particulière. Un souvenir, un souci, une obsession, une douleur.... Et au lieu de s'enfermer là-dedans on laisse cette forme s'évanouir. Au lieu de se dire : « Ça c'est moi, je me reconnais bien là », on laisse mujō, le vent de l'impermanence, souffler. Et ce qu'on pensait un bref instant être un « moi », un ego, disparaît. Il reste la posture, le dojo, les gens autour de nous.

Quand on a une responsabilité dans le dojo, on ne s'arrête pas à cette responsabilité. On ne se dit pas : « Mes capacités sont grossières ou fines » ou « Je suis capable ou incapable, je maîtrise ou je ne maîtrise pas ». Ça aussi on le laisse passer. On est juste dans le dojo, en relation avec ici et maintenant, à faire ce qu'il faut faire.

C'est ça l'état d'esprit exact de la voie, et si vous savez le reconnaître, si vous savez le retrouver, vous comprendrez qu'il n'y a pas d'enseignement particulier, pas de maître du Nord et de maître du Sud. Il n'y a pas le zen de la Croix-Rousse et le zen de Villeurbanne.

[Silence]

Cette affaire de maître du Nord et de maître du Sud fait référence à une polémique du temps de maître Sekitō. Vous connaissez surement l'histoire de Jinshū et de Enō, leur espèce de combat par poèmes interposés.

Jinshū c'est le zen du Nord, le zen graduel et Enō c'est le zen du Sud, le zen subit. Pour l'un il faut pratiquer longtemps avant de connaitre l'Éveil, pour l'autre l'Eveil est déjà là et il suffit de pratiquer l'Éveil pour connaître l'Eveil. Cette histoire est un gros mensonge forgé de toute pièce par un disciple de maître Enō qui voulait tout simplement se faire reconnaître comme 7^ème^ Patriarche. Il a inventé tout ça de mèche avec une impératrice et sa version est devenue la version officielle.

D'ailleurs, Kōdo Sawaki n'accordait aucun crédit à cette histoire. Il a clairement dit de ne pas étudier le Sutra de l'estrade dans lequel elle est rapportée. Il ne faut pas se laisser prendre par ces grandes histoires. Il ne faut pas se laisser prendre par ces grands disciples qui ont eu des satori exceptionnels et des paroles remarquables. C'est une forme de compréhension de la pratique, une forme de Transmission, celle que l'on raconte dans les livres d'histoire. Mais il n'y a pas que les livres d'histoire, il n'y a pas que cette compréhension et cette Transmission. Il y a aussi toutes les nonnes, tous les moines, les bodhisattvas et les laïcs qui ont pratiqué la voie, qui ont enseigné, montré et participé, tous ceux qui faisaient sampai devant le maître, avec le maître.

Pour le dire encore autrement, le maître est un trésor. Celui qui par ses actes et ses paroles est capable de nous indiquer la voie et de nous inciter à la pratiquer est un trésor. Mais il y a un autre trésor. N'oubliez pas la sangha.

15 h 11

Eka fait sampai devant le maître. Il dit au maître : « Moi, ce que j'ai compris, c'est l'action du pratiquant », l'action de ce moment. L'action à ce moment-là c'est de se prosterner devant le maître. À un autre moment ce sera autre chose.

Bodhidharma, lui, donne le shihō, la Transmission. La Transmission c'est poursuivre l'activité du maître. C'est à dire la pratique et surtout la pratique sans faire de distinction entre soi et les autres, juste la pratique. Pas une pratique tournée vers son histoire personnelle, pour se guérir, s'améliorer ou obtenir des grades. Mais la pratique qui consiste à se guérir, à s'améliorer, peut-être à obtenir des grades pour la pratique elle-même, pour suivre cette pratique avec les autres. Pour faire vivre la sangha, pour créer le maître.

Ce kōan, maître Dōgen le commente dans un chapitre du Shōbōgenzō qui s'appelle Kattō. Kattō en japonais signifie les lianes. Traditionnellement, les lianes sont une métaphore du mental, de la profusion des pensées qui nous enserrent et nous étouffent.

Maître Dōgen en donne un sens complètement différent. Ce sont les lianes qui relient intimement le maître et les disciples. C'est la multitude des échanges, des questions, des fréquentations qui ont lieu dans une sangha lors de journées de zazen ou de sesshin. Nous devenons le reflet des autres pratiquants et eux-mêmes deviennent notre reflet. Le maître répond à une question, son enseignement devient le reflet de notre effort pour comprendre la Voie, pratiquer la voie. Le maître est fait par les disciples, les disciples sont faits par le maître. C'est Kattō, les lianes.

Les lianes tropicales sont réputées produire un fruit à coque dure que l'on utilise comme gourde. Dōgen file la métaphore et dit : « Les lianes sont la gourde, la gourde c'est les lianes ».

Le maître c'est les disciples. Les disciples c'est le maître. Les disciples et maîtres en un instant, c'est l'état de l'univers à cet instant. C'est leur effort à tous qui fait la voie. Le maître ne transmet rien, il ne donne pas de shiho, ce n'est pas possible. Comme si ça allait de l'un à l'autre. Ce n'est pas possible.

L'esprit de Bouddha est déjà là. Maîtres et disciples le manifestent, pour le bien de tous les êtres. Quand le maître donne le shiho, c'est une manifestation de l'esprit de Bouddha. Et ça continue. Le maître peut disparaître, ça continue.

15 h 51

Kyōsaku !

Plus fort, plus fort. Il faut frapper comme si on voulait que le zafu sente le coup.

Le coup de kyōsaku est vraiment la métaphore de l'action juste du moine. Une fois que le coup est porté au bon endroit, au bon moment, fort et facilement, il transforme l'esprit facilement. C'est vraiment saisir l'occasion, agir exactement. L'important n'est pas la force, la force mentale ou physique, mais l'exactitude.

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