Enseignements donnés dans le dojo
« Qui est-ce ? »
7 mai 2023, 20 h
Je reviens sur le Zazen yōjinki (« Recommandations pour la pratique de zazen ») de maître Keizan.
« Qui est-ce ? Son nom est inconnu. On ne peut pas l'appeler corps, on ne peut pas l'appeler esprit. Si on essaie d'y penser la pensée s'interrompt. Si l'on tente d'en parler, les mots nous manquent. Tantôt ignorance, tantôt sainteté, aussi haut qu'une montagne, aussi profond que l'océan, le sans-pensée fait la lumière, le silence se manifeste.
Assis totalement à travers le ciel et la terre, ce corps entier s'expose.
Il est sans comparaison, ayant connu la grande mort. Il a les yeux clairs, les pieds sans poussière car où y a-t-il de la poussière, où y a-t-il des illusions ? Tel l'eau pure, sans avant ni arrière, tel le ciel immense, sans intérieur ni extérieur, il brille de lui-même. Shiki et kū ne sont pas séparés, pas plus que le sujet et l'objet, dès l'origine ils sont ensemble et n'ont pas de nom. »
« Qui est-ce ? » est une question traditionnelle des mondō et des kōan. En chinois, la phrase a une tournure assez familière. On ne demande pas le titre d'une personne, on ne demande pas son nom, prénom et identité. C'est vraiment : « Qui est-ce ? ».
Il ne faut pas croire que l'enseignement qui suit cette question désigne un concept, une idée, un enseignement extérieur à nous-mêmes. Non, il désigne directement notre propre esprit dans la voie, dans la pratique. Cet esprit a les yeux clairs, c'est-à-dire qu'il n'est pas voilé par les illusions car il sait qu'il n'y a pas d'illusions. Ou plutôt, il sait que les illusions n'ont pas de permanence et d'existence propre, qu'elles s'évanouissent comme le reste, provenant de leur lot de causes et conditions --- et que ces illusions sont en cela identiques à nos pensées les plus sagaces.
« Il a les pieds propres » parce qu'il ne soulève pas la poussière, c'est-à-dire la poussière des six sens et de l'attachement aux choses mondaines.
Souvent on est pris dans le dualisme. « Il m'a dit ça, elle m'a fait ça, je dois réagir ainsi et c'est sa faute, je n'ai pas le choix, c'est comme ça. » On voit le monde dans une seule direction, on imagine que deux issues, c'est blanc ou noir et pas autre chose. On est pris dans une histoire qui se déroule, et on a le sentiment que notre rôle est déjà écrit et que l'on ne pourra pas s'en écarter. Mais dans cet enseignement de la non-dualité, notre esprit est tout à fait capable de briser ce dualisme, de quitter le rôle qu'il croit avoir, de comprendre qu'il y a en réalité une deuxième, une troisième, une quatrième voie... une infinité de possibilités, et même mieux, que nous sommes capables d'inventer instantanément cette autre possibilité.
La non-dualité c'est aussi : si je change mon esprit, je change le monde. Si je change mon esprit, toute la situation dans laquelle je suis enfermé change. Si je brise la colère dans mon esprit, toute la colère est brisée, pas seulement dans mon esprit. C'est ça l'enseignement « l'homme regarde la montagne et la montagne regarde l'homme ». C'est ça l'enseignement : « Entre le ciel et la terre, ce corps entier s'expose. »
Ce corps, mon corps, mon esprit.
« Théorie des trois personnes qui font zazen » (fin)
7 mai 2023, 20 h
La conclusion de la « Théorie des trois personnes qui font zazen », de maître Keizan :
« Aucune pratique, quelle qu'elle soit, ne peut être comparée à zazen. Si un seul mérite est acquis par zazen, il est plus important que la construction de cent, mille ou cent mille monastères. Pratiquer zazen, c'est s'asseoir sans cesse et, ce faisant, se libérer de la naissance et de la mort et réaliser sa propre bouddhéité cachée. Dans une parfaite aisance, aller, rester, s'asseoir ou s'allonger, voir, entendre, comprendre et savoir sont tous des manifestations naturelles de la nature réelle. Du début à la fin, l'esprit reste l'esprit, au-delà de toute dispute sur la connaissance et l'ignorance.
Faites simplement zazen avec tout ce que vous êtes ».
On pourrait dire, me semble-t-il, que nous nous éduquons nous-mêmes par la pratique de zazen.
On éduque un enfant qui tombe et se blesse : « Ce n'est pas grave, ça va passer ». Il ignore d'où vient la douleur et comment y mettre fin. Alors on l'éduque, afin que plus tard, lorsqu'il éprouvera à nouveau une douleur, il sache qu'elle s'arrêtera et comment y mettre fin. On éduque un adolescent à faire face à des sentiments ou à des consciences de soi qui surgissent et face auxquelles il est démuni. On éduque intellectuellement un étudiant à faire face, par exemple, à des situations professionnelles complexes.
Et après ? Comment éduquer un adulte ? Par zazen !
On s'éduque soi-même. On apprend que nos pensées s'évanouissent d'elles-mêmes. On comprend que ce que l'on prend pour une idée vraie, juste, exacte est en fait une illusion. On apprend que ce qu'on a dans l'esprit est la résultante d'une multitude de causes et conditions et nullement d'une personnalité installée et figée. On apprend bien des choses simplement en pratiquant zazen, et après on sait faire face dans la vie. Le mérite infini de zazen est, selon moi, que, dans la multitude des circonstances de notre existence, nous avons cette éducation qui peut nous aider. On a le souvenir de notre pratique, le souvenir de notre corps, de notre respiration et de notre esprit en zazen. On peut être debout, assis, allongé, on peut être pris dans des émotions et des nœuds intellectuels, spirituels ou mêmes existentiels.
On dit d'un bon éducateur qu'il rend ses étudiants autonomes. Il ne leur dit pas quoi faire dans chaque circonstance mais il donne les moyens de faire face à chacune de ces circonstances. On ne sortira pas de nos problèmes personnels par zazen, on ne gagnera pas une satisfaction ou une certitude mais on gagnera les moyens de faire face à l'insatisfaction, à l'incertitude et à l'angoisse.
Il y a un âge pour apprendre aux enfants à ne pas pleurer lorsqu'ils ont mal, un âge pour éduquer les adolescents et les étudiants. Après il n'y a plus d'âge, c'est une éducation permanente, sans fin et surtout sans limite. Alors reprenons la dernière phrase de maître Keizan, faisons zazen tout simplement, avec tout ce que nous sommes.
« *Shikantaza* », la simple assise
5 mai 2023, 20 h
A la fin de son texte sur la théorie des trois sortes de zazen, maître Keizan dit :
« De toute manière, pratiquez zazen, tout simplement. Il n'y a pas de pratique plus élevée que zazen, il n'y a pas de mérite plus élevé que celui acquis en pratiquant zazen. Même la construction de cent ou cent mille pagodes est un mérite inférieur que celui obtenu par la pratique de zazen. »
Et en effet, on pratique zazen sans avidité, sans chercher à obtenir quelque chose ou devenir quelqu'un, sans chercher à se faire admirer, aimer ou féliciter par les autres. On abandonne nos idées préconçues et nos vues inexactes, on cesse d'agir pour faire gonfler notre ego, le temps d'un zazen, simple assise, tel qu'on est. Comment pourrait-il y avoir une pratique plus élevée que celle-ci ?
Bien sûr il y a des mérites immenses à pratiquer zazen. Mais le plus incroyable est que très peu de ces mérites sont tournés vers nous qui pratiquons. Plus tard, dans nos relations avec les autres, dans nos pensées et nos actions, zazen aura peut-être une influence imprévue, surprenante, incertaine, et alors nous verrons ces mérites en actions, pour les gens autour de nous, ou pour l'univers entier pourrait-on dire.
Pratiquer zazen c'est se familiariser avec muga, le non-égo, et avec mushin, le non-esprit, c'est-à-dire notre esprit au-delà de nos idées personnelles, de nos points de vue erronés, au-delà de l'idée que l'on se fait de soi, d'une illusion, un mirage, une tromperie. On se familiarise avec notre nature profonde et avec notre sagesse hannya haramita, la sagesse qui va au-delà et dépasse l'ignorance.
Hannya est toujours là, toujours présent mais recouvert par notre flux de pensées illusoires permanentes. Faire zazen c'est apprendre à se détacher de ce flux et à ne pas s'identifier à lui, à ne pas s'y soumettre. Et à la fin c'est la grande liberté. On n'a rien fait disparaître, rien n'a été vaincu, on n'a pas détruit notre égo ou réformé notre personnalité, etc. rien de ce genre de fadaises.
Tout est toujours là mais on en est libéré.
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